Le village de Taïba Niassène fut détruit en 1900 par les Français, ses biens confisqués, sa mosquée incendiée, ses récoltes pillées. Le rapport du Lieutenant Chaudron, commandant de Cercle de Nioro, mentionne le départ d’El hadji Abdoulaye Niass vers le territoire anglais voisin, exil qu’il considéra comme une ultime victoire de la France et de ses obligés Ceddo... Cette répression envers la personne d'El Hadji Abdoulaye fût exagérée, car aucune preuve n’a été mis sur la table si ce n’étaient des allégations des chefs de canton déterminés à lui trouver des boucs émissaires. Les Français étaient cependant renforcés dans leurs agissements par l’atmosphère anti-musulmane créée par la politique religieuse de la France depuis 1893. En effet, craignant le « péril musulman », les Français avaient mis en place un corset législatif pour étouffer l’expansion de l’Islam que la mise sous tutelle coloniale aurait dû freiner et qui au contraire connut un renouveau extraordinaire.
Martin Klein, analysant la relation entre El Hadji Abdoulaye Niass et les colonisateurs, dit : « En tant que le leader religieux le plus important de Saloum, le traitement qu’il a reçu de l’administration coloniale a été motivé par le désir de cette dernière de punir sa conduite, qui était par trop éloignée de leur monde, plus que par les vrais problèmes qu’il aurait posés ». Ceci est d’autant plus avéré qu’il avait refusé d’envoyer ses enfants à l’école française lorsque les colons en avaient émis la demande. El Hadji Abdoulaye s’est illustré toute sa vie comme hostile à l’assimilation, la nouvelle arme du colonisateur à la fin des conflits armés.
Des milliers de gens ayant eu écho de son nouvel exil ont préféré eux aussi s’exiler avec lui. D’autres, ne pouvant pas l’imiter, s’organisaient afin de l’aider à mieux s’installer. Ainsi, les disciples du côté du territoire français lui apportaient des vivres qu’ils cachaient dans des paniers. Si beaucoup ont réussi, d’autres par contre ont été arrêtés et emprisonnés dans le cadre de la répression qu’exerçait le commandant du cercle du Sine-Saloum d’alors, Victor Allys. Selon Klein, certains furent condamnés à mort, d’autres condamnés aux travaux forcés et quelques-uns avaient été dépossédés de leurs propriétés pour collaboration...». Cette injustice envers El Hadji Abdoulaye Niass durera jusqu’à ce que les autorités de Saint-Louis et de Dakar réagissent en révoquant Allys, qui sera remplacé par Lefilliâtre. Cette répression sanglante qui n’est pas sans rappeler les pratiques esclavagistes a été la conséquence des migrations massives des populations du Saloum oriental vers la colonie anglaise de la Gambie.
__
Extrait de " Triomphe des Véridiques, récit de la vie d'El Hadji Abdoulaye Niass", page 67 - Idrissa DIOUM, Ahmad Boukar Omar NIANG - Éditions Histoire Générale de la Fayda 2022.